« Le Forom des Langues du Monde comme fête du bonheur » Beaucoup de gens nous l’ont dit. Des anonymes qui y ont participé comme visiteurs ou comme organisateurs, à Toulouse ou dans les nombreuses villes de France, d’Europe ou du Monde qui en ont repris l’idée. Nous l’ont dit aussi de grandes personnalités de la culture ou de la politique, et des stars qui y sont passées. Cela nous est allé droit au cœur, bien sûr, mais la modestie et la superstition (ne pas attirer le mauvais œil) nous ont tenus à une certaine réserve. Cependant il y a du vrai dans cette formule, comme il y en a dans cet autre jugement souvent entendu aussi : « c’est la plus belle fête qui soit ». Les personnes qui se sont exprimées ainsi parlent en partie de ce qu’ils y ont vu et vécu et, en partie, de nos principes, ceux qui président à l’organisation des Foroms.
Et, en effet, nos principes d’organisation, je les rappelle souvent, ont été pensés dans le but de favoriser au mieux qu’il se peut ce sentiment de bonheur dans le respect de tous et la pluralité effective : gratuité des stands pour ceux qui les tiennent ; animations des stands par des locuteurs des langues qu’ils présentent (pas d’intermédiaires ni de « porte-paroles » des muets, comme souvent ailleurs) ; interdiction de toute propagande religieuse ou de politique partisane ; limitation du commerce, hors livres sur les langues et les cultures concernées, à quelques pâtisseries ou boissons typiques ; forom des Langues (et des cultures) et non forom des cultures, parce que si l’on peut identifier une langue, on ne sait pas où commence et où s’arrête une culture, porte ouverte à toutes les dérives ; enfin égalité matérielle de présentation des langues (stands de même surface) et de leur promotion, pour afficher spectaculairement l’idée (pas encore partagée par tous) de l’égalité anthropologique de toutes les langues. Pas de sous-langues, pas de sous-hommes : c’est la première chose à comprendre. C’est ce constat qui éradique radicalement tous les préjugés dans ce domaine. C’était la première fois, à Toulouse donc, que cette égalité était promue dans une pratique publique et ainsi affichée. Peu se doutent de l’importance de ce geste, et de qui s’en est ensuivi dans les conversations, parmi ceux qui voient le Forom comme une sympathique assemblée d’associations plus ou moins attachées à la « diversité ». La pluralité est bien autre chose, qui est l’organisation POLITIQUE, et donc grandement réfléchie ou à réfléchir, des diversités.
En nous appuyant sur ces principes, nous aurions pu essayer de faire du Forom une TRÉS TRÉS grande fête, qui aurait honoré grandement Toulouse et notre région. Mais il aurait fallu convaincre nos financeurs, qui ont d’autres préoccupations plus urgentes que de réfléchir aux questions les plus pointues de l’anthropologie du langage, pourtant si importantes, en amont de bien d’autres, pour l’intercompréhension des peuples et des nations. C’est à nous tous, convaincus et spécialistes, de bien faire notre travail de conviction auprès de ceux qui ont autre chose à faire. C’est nous qui sommes responsables de nos faiblesses, pas « les autres« . Les pionniers qui depuis des années défrichent une piste inextricable dans la forêt des préjugés ne s’attendent pas à trouver, au bout de leur route, un tapis rouge et un comité d’accueil leur rendant hommage en fanfare. Par où seraient-ils venus ?
Il y a bien sûr beaucoup de difficultés à vaincre : l’esprit provincial en premier, qui a fait penser à certains que puisque ce sujet n’intéresse pas à Paris, sinon dans d’étroits cénacles spécialisés, ce ne peut pas être un sujet majeur. Toulouse et l’Occitanie au top français et mondial de la réflexion sur un sujet aussi grave, vous plaisantez ? C’est pourtant assez facilement compréhensible, et il est à regretter que même un certain régionalisme, englué dans une position victimaire, n’arrive pas à croire que la question occitane, de par son irréductible et tout-à-fait originale particularité, a tous les atouts pour faire surgir nationalement une autre vision des rapports culture-politique qui intéresse dans l’urgence TOUS LES FRANÇAIS. Et qui intéresse aussi, indirectement, tous les peuples.
Chose qui a été démontrée pendant des années, depuis plus de trente ans, sur la place du Capitole. Les interventions des spécialistes¹ venus de partout et de tous les bords, quand nous les avons confrontés, ont convergé dans la RUINE des clichés qui courent encore aujourd’hui dans les livres d’une grande majorité des intellectuels français, sans parler de tous les perroquets qui les singent dans les médias. Seuls ceux qui ont suivi le Forom savent cela, hélas.
Mais notre renoncement à lancer le projet d’une très grande fête a une autre raison : la certitude que, ce faisant, nous aurions été obligés de consacrer beaucoup de temps en diverses opérations de com. et de longues et nombreuses mondanités, au détriment de la réflexion, qui n’avance que lentement, par élargissement progressif de petits cercles concentriques.
L’argent – il en faut un minimum, et nous remercions nos financeurs, Mairie, Région, Département, de nous le donner – a tendance à nourrir les passions lucratives et à négliger voire occulter les bons principes, tandis que le bénévolat (nous sommes tous bénévoles, organisateurs et animateurs des stands) les exalte.
Nul n’est prophète en son pays, dit-on. C’est souvent vrai, mais notre devoir est de toujours nous efforcer de faire mentir le dicton. Nous ne sommes plus Place du Capitole, lieu que nous avions choisi car elle est la place CIVIQUE de la ville (place de la Mairie) et le lieu que fréquentent tous les concitoyens à un moment ou à un autre. Des raisons techniques nous en ont éloignés. Mais il est bien possible que nous y revenions bientôt. Possible même qu’un jour prochain le Forom s’étende du Capitole à la Place St Sarni (où nous serons cette année et il faut la garder, elle est très belle et très pratique) avec des stands de livres sur nos sujets tout le long de la rue du Taur (et des films sur les mêmes sujets à la Cinémathèque rénovée, et des expositions dans la cour de l’École de Cinéma, en face, etc.).
Merci à tous ceux qui nous aident ! C. Sicre Président du Carrefour Culturel Arnaud Bernard, Concepteur du Forom. ¹ Il nous faut ici, parmi ces spécialistes, rendre un hommage particulier à Felix Castan, premier héraut de Toulouse Capitale, et à Henri Meshonnic (venu tous les ans de 1995 à 2008) qui, dans la filiation Humboldt-Saussurre-Benveniste, a entrepris une théorie critique qui n’a pas épargné ceux que la rumeur mondaine nomme les grands (Marx, Heidegger, Chomsky, Habermas etc. – et, en passant, tous les seconds couteaux encore à la mode franco-parisienne).
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