LA GRANDE TRAHISON : QUAND LES ÉTATS-UNIS LÂCHENT L’EUROPE
Je le pressens depuis un certain temps. Maintenant, ça saute aux yeux. Il plane aujourd’hui, sur la scène internationale, une étrange sensation d’inversion. Comme si les lignes de force qui structuraient l’ordre mondial depuis plus de trois générations s’étaient mises à glisser lentement, jusqu’à composer un paysage où les certitudes de l’après-guerre semblent frappées d’obsolescence.
Les States, jadis colonne vertébrale du « monde libre », s’écartent de leurs alliés naturels, cherchent querelle à ceux qui partageaient leur destin, et empruntent désormais la grammaire politique de leurs adversaires. Pendant ce temps, la Russie, patiente et méthodique, avance ses pièces avec une confiance presque insolente. Au cœur de cette recomposition, ce qui domine en Europe n’est plus seulement l’inquiétude : c’est la sensation, froide et nue, d’une trahison accomplie.
La publication récente de la stratégie de sécurité nationale américaine a agi comme révélateur. Jamais un document de la Maison Blanche n’avait affiché une telle sévérité envers l’Europe, ni une telle indulgence envers Moscou. Le texte décrit le continent européen comme voué à un « effacement civilisationnel », frappé d’une « perte des identités nationales » et d’une « asphyxie réglementaire », au point d’affirmer, avec une désinvolture stupéfiante, que certains pays de l’OTAN pourraient devenir, dans quelques décennies, « majoritairement non européens ».
Ce vocabulaire n’est pas celui de la diplomatie. C’est celui de l’extrême droite américaine – et européenne – transposé mot pour mot dans un document officiel. La sémantique du « remplacement », des « frontières menacées », de la « décadence civilisationnelle », glisse du discours de campagne au langage d’État. J. D. Vance, vice-président de Trump, avait déjà donné le ton en février, à Munich, lorsqu’il évoqua une Europe « affaiblie par ses choix idéologiques » et promise au déclin si elle persistait dans « la trajectoire actuelle ».
Pete Hegseth, secrétaire à la Défense, enfonça le clou au Reagan Forum en célébrant la fin de « l’idéalisme utopique » et le retour au « réalisme dur » qui ne reconnaît d’obligations qu’à l’endroit de la puissance nationale.
En réalité, ces mots forment un ensemble cohérent : il s’agit d’un glissement doctrinal majeur, où l’Amérique étasunienne renonce à l’idée d’un monde fondé sur le droit, et adopte une vision où seules comptent la force, la peur, la pureté identitaire.
Cette séquence me rappelle irrésistiblement le moment où, après la Révolution française, les monarchies d’Europe se liguèrent pour étouffer le souffle des libertés naissantes, convaincues qu’il fallait éteindre la flamme plutôt que d’en affronter la lumière.
Une révolution à rebours, honteuse, qui tourne le dos à la liberté qu’elle prétend incarner.
C’est dans ce contexte que les dirigeants européens, habituellement circonspects, ont parlé avec une franchise inédite. Lors de leur échange, devenu public, Emmanuel Macron a averti Zelensky qu’il existait « une possibilité que les États-Unis trahissent l’Ukraine sur la question du territoire sans définir clairement les garanties de sécurité ». Friedrich Merz en Allemagne a ajouté : « Ils jouent avec vous et avec nous ». Et le Finlandais Alexander Stubb, rompant avec toute retenue, a conseillé à Kiev de ne jamais se retrouver « seul avec ces types ». Ces phrases, lourdes et sobres, témoignent d’une rupture historique : pour la première fois depuis 1945, l’Europe ne prescrit plus la confiance envers Washington ; elle prescrit la prudence, voire la méfiance.
Il faut dire que les plans esquissés par les négociateurs trumpiens en Russie ont achevé de dissiper l’illusion. Steve Witkoff et Jared Kushner ont présenté un projet qui reprend « presque mot pour mot les positions russes » selon des sénateurs américains eux-mêmes : concessions territoriales, neutralisation durable de l’Ukraine, garanties illusoires, et même un partage de la reconstruction prévoyant que des proches de Trump puissent tirer avantage de fonds issus des actifs russes gelés. Je ne pensais pas voir un jour une diplomatie américaine calquée sur les desiderata du Kremlin ; pourtant, voici que ce qui paraissait impensable devient pratique courante.
Lénine doit en rire bien haut dans son mausolée.
C’est ainsi que la trahison s’est matérialisée : dans un document où l’Amérique semble prête à troquer la liberté d’un peuple contre les bénéfices d’une transaction.
Poutine, lui, a lu ces signes avec l’acuité de ceux qui n’espèrent plus rien et saisissent tout. Son voyage en Inde l’a illustré : Narendra Modi l’a accueilli comme un souverain, déroulant un accueil dont la somptuosité disait tout du rééquilibrage en cours. Des contrats militaires, énergétiques, technologiques ont été signés comme si l’invasion de l’Ukraine n’existait plus. Une Inde puissante, un Occident fracturé, et une Russie qui reprend sa place dans le jeu.
Par ailleurs vint la scène, presque théâtrale, sur un plateau de télévision indienne. Poutine, interviewé, faussement désinvolte, lâche : « Cinq heures de discussions ? C’est beaucoup trop pour moi ». Tout le monde sait qu’il avait fait patienter Kushner et Witkoff trois longues heures avant de les recevoir. La cruauté du geste n’échappe à personne : elle signifiait que l’Amérique n’est plus un interlocuteur digne de respect, qu’elle vient quémander une paix dont le Kremlin définit désormais les conditions.
Pendant que Moscou s’affirme, Pékin perfectionne son art du retrait actif. Macron, venu chercher une parole exigeant la fin de la guerre, n’a obtenu de Xi Jinping que l’illusion d’une neutralité dont chacun sait qu’elle est creuse. Les échanges militaires entre la Chine et la Russie se poursuivent pourtant, comme l’ont rappelé plusieurs rapports récents, sans que Pékin ne se départisse du masque du médiateur raisonnable. L’Amérique se retire du champ moral ; la Chine occupe le vide avec une discrétion calculée.
Dans cet enchevêtrement de renoncements américains et d’audaces russes se dévoile LA vérité du moment : Trump et ceux qui l’entourent ne trahissent pas seulement l’Ukraine. Ils trahissent l’Europe. Ils trahissent la libre-démocratie qu’ils prétendent hypocritement défendre. Ils trahissent la mémoire de leurs propres engagements, en validant, par calcul ou par conviction, la vision du monde que Poutine appelle depuis longtemps de ses vœux : un monde d’empires, de zones d’influence, de nations soumises ou isolées.
Détruire l’Union européenne n’est plus, pour Moscou, un rêve lointain. C’est un chantier partagé avec Washington. Le plan stratégique américain parle ouvertement de « cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe » et se réjouit de la montée des « partis patriotiques » sur le continent. La convergence entre le discours MAGA et celui du Kremlin n’est plus un hasard : c’est une coalition de vocabulaire, d’intérêts et d’objectifs.
Là où l’Amérique US se disperse, Moscou concentre. Là où Washington rompt avec ses valeurs, Pékin consolide son influence. Là où l’Occident se morcelle, un axe Moscou–Pékin–New Delhi prend forme. Les États-Unis se sont longtemps crus intouchables ; ils découvrent désormais qu’on peut perdre le monde non par la défaite militaire, mais par la défaillance morale.
Le monde ne bascule pas dans le fracas. Il s’incline lentement, comme une digue rompue par la pression des eaux. Nous sommes à ce point de bascule. Il exige de nous une lucidité qui ne se réfugie plus dans les illusions anciennes, mais qui affronte le réel, même lorsqu’il se présente sous le visage glaçant d’un allié devenu imprévisible.
Car il faut désormais le dire sans trembler : le trumpisme n’est pas une fantaisie politique américaine, c’est une entreprise de démolition internationale, un mécanisme de sape qui affaiblit ses alliés, banalise les modèles autoritaires et offre à Moscou, comme aux autres régimes autoritaires, un champ libre que ces puissances n’espéraient plus. Cette dérive n’est pas accidentelle ; elle est voulue. Elle vise l’Union européenne, ses valeurs, son unité, et cherche à substituer au projet démocratique un monde brutal où le contrat social se dissout dans la force brute et la vassalisation politique.
Alors je me pose la question, face à cette réalité : combien de temps encore accepterons-nous que le sort de nos démocraties soit suspendu aux caprices d’un mouvement étasunien fascisant ( et ses chevaux de Troie d’extrême-droite en UE) qui travaillent ouvertement contre nous et notre modèle de société ?
Rudy
LA GRANDE TRAHISON : QUAND LES ÉTATS-UNIS LÂCHENT L’EUROPE
Je le pressens depuis un certain temps. Maintenant, ça saute aux yeux. Il plane aujourd’hui, sur la scène internationale, une étrange sensation d’inversion. Comme si les lignes de force qui structuraient l’ordre mondial depuis plus de trois générations s’étaient mises à glisser lentement, jusqu’à composer un paysage où les certitudes de l’après-guerre semblent frappées d’obsolescence.
Les States, jadis colonne vertébrale du « monde libre », s’écartent de leurs alliés naturels, cherchent querelle à ceux qui partageaient leur destin, et empruntent désormais la grammaire politique de leurs adversaires. Pendant ce temps, la Russie, patiente et méthodique, avance ses pièces avec une confiance presque insolente. Au cœur de cette recomposition, ce qui domine en Europe n’est plus seulement l’inquiétude : c’est la sensation, froide et nue, d’une trahison accomplie.
La publication récente de la stratégie de sécurité nationale américaine a agi comme révélateur. Jamais un document de la Maison Blanche n’avait affiché une telle sévérité envers l’Europe, ni une telle indulgence envers Moscou. Le texte décrit le continent européen comme voué à un « effacement civilisationnel », frappé d’une « perte des identités nationales » et d’une « asphyxie réglementaire », au point d’affirmer, avec une désinvolture stupéfiante, que certains pays de l’OTAN pourraient devenir, dans quelques décennies, « majoritairement non européens ».
Ce vocabulaire n’est pas celui de la diplomatie. C’est celui de l’extrême droite américaine – et européenne – transposé mot pour mot dans un document officiel. La sémantique du « remplacement », des « frontières menacées », de la « décadence civilisationnelle », glisse du discours de campagne au langage d’État. J. D. Vance, vice-président de Trump, avait déjà donné le ton en février, à Munich, lorsqu’il évoqua une Europe « affaiblie par ses choix idéologiques » et promise au déclin si elle persistait dans « la trajectoire actuelle ».
Pete Hegseth, secrétaire à la Défense, enfonça le clou au Reagan Forum en célébrant la fin de « l’idéalisme utopique » et le retour au « réalisme dur » qui ne reconnaît d’obligations qu’à l’endroit de la puissance nationale.
En réalité, ces mots forment un ensemble cohérent : il s’agit d’un glissement doctrinal majeur, où l’Amérique étasunienne renonce à l’idée d’un monde fondé sur le droit, et adopte une vision où seules comptent la force, la peur, la pureté identitaire.
Cette séquence me rappelle irrésistiblement le moment où, après la Révolution française, les monarchies d’Europe se liguèrent pour étouffer le souffle des libertés naissantes, convaincues qu’il fallait éteindre la flamme plutôt que d’en affronter la lumière.
Une révolution à rebours, honteuse, qui tourne le dos à la liberté qu’elle prétend incarner.
C’est dans ce contexte que les dirigeants européens, habituellement circonspects, ont parlé avec une franchise inédite. Lors de leur échange, devenu public, Emmanuel Macron a averti Zelensky qu’il existait « une possibilité que les États-Unis trahissent l’Ukraine sur la question du territoire sans définir clairement les garanties de sécurité ». Friedrich Merz en Allemagne a ajouté : « Ils jouent avec vous et avec nous ». Et le Finlandais Alexander Stubb, rompant avec toute retenue, a conseillé à Kiev de ne jamais se retrouver « seul avec ces types ». Ces phrases, lourdes et sobres, témoignent d’une rupture historique : pour la première fois depuis 1945, l’Europe ne prescrit plus la confiance envers Washington ; elle prescrit la prudence, voire la méfiance.
Il faut dire que les plans esquissés par les négociateurs trumpiens en Russie ont achevé de dissiper l’illusion. Steve Witkoff et Jared Kushner ont présenté un projet qui reprend « presque mot pour mot les positions russes » selon des sénateurs américains eux-mêmes : concessions territoriales, neutralisation durable de l’Ukraine, garanties illusoires, et même un partage de la reconstruction prévoyant que des proches de Trump puissent tirer avantage de fonds issus des actifs russes gelés. Je ne pensais pas voir un jour une diplomatie américaine calquée sur les desiderata du Kremlin ; pourtant, voici que ce qui paraissait impensable devient pratique courante.
Lénine doit en rire bien haut dans son mausolée.
C’est ainsi que la trahison s’est matérialisée : dans un document où l’Amérique semble prête à troquer la liberté d’un peuple contre les bénéfices d’une transaction.
Poutine, lui, a lu ces signes avec l’acuité de ceux qui n’espèrent plus rien et saisissent tout. Son voyage en Inde l’a illustré : Narendra Modi l’a accueilli comme un souverain, déroulant un accueil dont la somptuosité disait tout du rééquilibrage en cours. Des contrats militaires, énergétiques, technologiques ont été signés comme si l’invasion de l’Ukraine n’existait plus. Une Inde puissante, un Occident fracturé, et une Russie qui reprend sa place dans le jeu.
Par ailleurs vint la scène, presque théâtrale, sur un plateau de télévision indienne. Poutine, interviewé, faussement désinvolte, lâche : « Cinq heures de discussions ? C’est beaucoup trop pour moi ». Tout le monde sait qu’il avait fait patienter Kushner et Witkoff trois longues heures avant de les recevoir. La cruauté du geste n’échappe à personne : elle signifiait que l’Amérique n’est plus un interlocuteur digne de respect, qu’elle vient quémander une paix dont le Kremlin définit désormais les conditions.
Pendant que Moscou s’affirme, Pékin perfectionne son art du retrait actif. Macron, venu chercher une parole exigeant la fin de la guerre, n’a obtenu de Xi Jinping que l’illusion d’une neutralité dont chacun sait qu’elle est creuse. Les échanges militaires entre la Chine et la Russie se poursuivent pourtant, comme l’ont rappelé plusieurs rapports récents, sans que Pékin ne se départisse du masque du médiateur raisonnable. L’Amérique se retire du champ moral ; la Chine occupe le vide avec une discrétion calculée.
Dans cet enchevêtrement de renoncements américains et d’audaces russes se dévoile LA vérité du moment : Trump et ceux qui l’entourent ne trahissent pas seulement l’Ukraine. Ils trahissent l’Europe. Ils trahissent la libre-démocratie qu’ils prétendent hypocritement défendre. Ils trahissent la mémoire de leurs propres engagements, en validant, par calcul ou par conviction, la vision du monde que Poutine appelle depuis longtemps de ses vœux : un monde d’empires, de zones d’influence, de nations soumises ou isolées.
Détruire l’Union européenne n’est plus, pour Moscou, un rêve lointain. C’est un chantier partagé avec Washington. Le plan stratégique américain parle ouvertement de « cultiver la résistance à la trajectoire actuelle de l’Europe » et se réjouit de la montée des « partis patriotiques » sur le continent. La convergence entre le discours MAGA et celui du Kremlin n’est plus un hasard : c’est une coalition de vocabulaire, d’intérêts et d’objectifs.
Là où l’Amérique US se disperse, Moscou concentre. Là où Washington rompt avec ses valeurs, Pékin consolide son influence. Là où l’Occident se morcelle, un axe Moscou–Pékin–New Delhi prend forme. Les États-Unis se sont longtemps crus intouchables ; ils découvrent désormais qu’on peut perdre le monde non par la défaite militaire, mais par la défaillance morale.
Le monde ne bascule pas dans le fracas. Il s’incline lentement, comme une digue rompue par la pression des eaux. Nous sommes à ce point de bascule. Il exige de nous une lucidité qui ne se réfugie plus dans les illusions anciennes, mais qui affronte le réel, même lorsqu’il se présente sous le visage glaçant d’un allié devenu imprévisible.
Car il faut désormais le dire sans trembler : le trumpisme n’est pas une fantaisie politique américaine, c’est une entreprise de démolition internationale, un mécanisme de sape qui affaiblit ses alliés, banalise les modèles autoritaires et offre à Moscou, comme aux autres régimes autoritaires, un champ libre que ces puissances n’espéraient plus. Cette dérive n’est pas accidentelle ; elle est voulue. Elle vise l’Union européenne, ses valeurs, son unité, et cherche à substituer au projet démocratique un monde brutal où le contrat social se dissout dans la force brute et la vassalisation politique.
Alors je me pose la question, face à cette réalité : combien de temps encore accepterons-nous que le sort de nos démocraties soit suspendu aux caprices d’un mouvement étasunien fascisant ( et ses chevaux de Troie d’extrême-droite en UE) qui travaillent ouvertement contre nous et notre modèle de société ?
Rudy
