« Quand la marée se retire, on voit qui nageait sans maillot. »
( Warren Buffet)
« Coopérer ou périr »
( Antonio Gutteres , secrétaire général des Nations Unies)
Le monde entre en récession en cette fin de 2022.
La récession ce sont « deux trimestres consécutifs de baisse du PIB ». Les États-Unis, la Chine, la Grande Bretagne, l’Italie et l’Allemagne y sont déjà. Avec une croissance proche de zéro au dernier trimestre de l’année, la France s’en approche.
Des bastions de résistance existent chez les émergents, mais leurs économies sont laminées par les sorties de capitaux aimantés par le dollar ( cf hausse de la devise par les taux d’intérêt).
Dans la zone euro, les enquêtes de conjoncture auprès des directeurs d’achat ( PMI) sont au plus bas niveau depuis deux ans et la BCE comme la Commission européenne tablent désormais sur une récession.
Le cycle monétaire et financier s’est retourné depuis la mi-2022.
I) Les économistes officiels qui s’arrangent régulièrement avec la vérité nous prédisaient une inflation « transitoire ». Ils se sont trompés, celle-ci s’avère durable et forte avec 11% environ dans la zone euro.
Leur erreur tenait à de multiples raisons qu’ils avaient pourtant sous les yeux et que nous avions signalées dans notre chronique pour le CEPS :
- Nous sommes entrés dans une crise profonde de l’énergie liée à l’épuisement des ressources fossiles. Indépendamment de la guerre en Ukraine, nous sommes sur le pic du pétrole signalé par l’Agence internationale de l’énergie depuis 2018, ainsi que par le Shift Project. Or notre potentiel nucléaire va rester durablement affaibli par les problèmes de maintenance (2025) et l’obsolescence (2030) de nos centrales de la génération 1970 faute des bons investissements et des bonnes décisions au bon moment.
- L’approvisionnement de l’Europe en pétrole baissera régulièrement à partir de 2030 ( cf intéressant graphique annexé) et rien ne sera comme avant. Ce sujet reste tabou.
- Certes et heureusement, les renouvelables peuvent encore largement se déployer ( 29 % de l’électricité en France contre 60 à 70 % dans les pays scandinaves), mais la demande d’électricité va augmenter de 1/3 d’ici à 2030.
- Toutes ces variables dessinent un gap énergétique dont la marche sera haute. Il faudra économiser massivement l’énergie. Y sommes-nous prêts ?
- Nous allons par ailleurs prochainement payer le prix du carbone aux frontières de l’Union européenne pour endiguer le réchauffement climatique. Tout ce que nous importons d’Asie coûtera plus cher.
- Évidemment les chaînes de production ont été aussi désorganisées par le covid, les confinements chinois et la main d’œuvre est devenue rare ( et chère ) avec la « grande démission ».
- Nous entrons donc dans la démondialisation et dans une relocalisation des activités nécessaires, mais plus chère pour le consommateur. De fait, le rythme de croissance du commerce international ne cesse de ralentir depuis plusieurs années.
II) Mais voici que les économistes officiels risquent de se tromper à nouveau en nous annonçant un peu vite « une récession courte et peu profonde ».
Et en nous promettant bien entendu le retour d’une croissance forte à la clé… Les réalités sont plus incertaines et la prudence s’impose.
En effet, depuis la crise financière de 2008, pour 1 dollar de croissance le monde a fabriqué 1,5 dollar de dette jusqu’à accumuler un endettement colossal de 300 000 milliards de dollars (!)
soit 3,5 fois le PIB mondial (contre 2,3 fois lors de la grande crise financière de 2008).
Quelque chose s’est donc déréglé dans la macro-économie avec une croissance évoluant dans la zone des rendements décroissants et des gains de productivité faibles.
Pour comprendre pourquoi nous entrons à nouveau possiblement dans une grande crise, nos lecteurs liront avec intérêt le petit livre de Jacques de Larosière : « En finir avec le règne de l’illusion financière »
( Odile Jacob, septembre 2022).
L’ancien gouverneur de la Banque de France et du FMI nous indique que, depuis 2000, les patrimoines ont augmenté 50 % plus vite que le PIB (!). C’est le résultat de la gigantesque bulle monétaire qui a vu la base monétaire mondiale multipliée par 8 en moins de vingt ans (passant de 1 à 8 trillions de dollars).
Les banques centrales ont de bonne foi tenté de lutter contre cette anémie de l’économie en la traitant intensivement par la « morphine monétaire ». Mais la fête des patrimoines survalorisés va maintenant se terminer !
Nous entrons dans une période de destruction de valeur car le cycle monétaire et financier se retourne.
En effet, les banques centrales ont décidé de remplir leur mandat : sauvegarder la valeur de ce bien collectif qu’est la monnaie, dans l’intérêt général qui correspond à celui des plus faibles menacés par l’inflation.
L’économiste américain Nouriel Roubini, le seul à avoir prévu dès 2006 la grande crise financière de 2008, nous avertit clairement que nous entrons dans une crise profonde de la « dette stagflationniste » qui verra la valeur des actions baisser de 30 à 40 % avec la récession attendue ( cf Les Échos du 13 octobre 2022 ). Il s’agit bien, en raison de l’énormité de la dette, d’une crise potentiellement systémique.
Ne cherchez donc pas de bons placements : l’immobilier qui a augmenté de 60 % depuis 2010 baissera aussi, mais moins que les obligations décotées par la hausse inexorable des taux d’intérêt. Seules quelques entreprises bien positionnées sur les matières premières et les énergies verront leur cote augmenter.
La bulle financière va éclater. Et nous en serons appauvris d’autant.
Le monde devra rechercher son nouveau point d’équilibre à un niveau de richesse plus bas.
Cultiver la sobriété, la coopération internationale et les faibles inégalités, innover, se doter enfin d’une Fédération européenne seront les seules vraies solutions. Y sommes-nous prêts ?
III) Dans cette « réorganisation du monde », la B.C.E a l’épée dans les reins car sauf à laisser notre monnaie chuter toujours plus bas, elle sera obligée de suivre la FED qui a déjà commencé à réduire la taille de son bilan («quantitative tightening») en stoppant ses achats nets (et bruts) de titres de dettes et en remontant très vite ses taux d’intérêt.
Même si la réduction de la taille de son bilan reste au-dessous des objectifs annoncés en raison de la peur du choc qui se prépare. La reprise de liquidité est amorcée.
La B.C.E conservera un certain temps la faculté d’arbitrer le réinvestissement des tombées de titres de dettes allemands contre des titres italiens ou français pour éviter la fragmentation de la zone euro.
Mais jusqu’à quand ?
Il est possible qu’en 2023, face à la violence du choc qui nous menace, les deux grandes banques centrales hésitent à poursuivre la remontée des taux d’intérêt et diffèrent la réduction de leurs bilans. D’autant que celle-ci leur vaudra des pertes avec la baisse de la valeur des obligations.
D’énormes pressions s’exerceront sur les banques centrales. Elles devront y résister. Elles seront de toute façon les boucs émissaires de cette crise qui vient.
Heureusement, quelques éléments de désinflation commencent à se faire sentir sur les prix de gros : le frêt maritime, les matières premières agricoles, le gaz ont commencé à baisser. Le pétrole et le gaz baisseront avec la récession. Mais l’électricité restera très chère en raison des difficultés durables de nos centrales. L’inflation ralentit déjà aux États-Unis.
En France, les trésoreries piquent du nez depuis plusieurs mois et les défaillances d’entreprises remontent en flèche. Leurs marges ont baissé.
Le « quoi qu’il en coûte » disparaîtra puisque la BCE ne monétise plus les dettes des États ( aux tombées près). Nous n’avons donc plus les cartouches dont nous disposions en 2020. C’était prévisible mais rien n’a été prévu (cf conclusion).
IV) Se pose alors la question des risques collatéraux à cette crise économique et financière qui vient :
- Il est très probable que le système bancaire tiendra car la régulation très forte de Bâle III a renforcé ses assises prudentielles. Depuis 2008, ses fonds propres ont plus que doublé. Des ratios de liquidité très contraints le sécurisent désormais et protègent les épargnants.
- Mais tous les agents endettés: shadow banking, corporates risqués et États surendettés seront sur la sellette. Ils seront sanctionnés par les spreads de taux d’intérêt qui pointeront à nouveau les risques. C’est déjà le cas pour la dette italienne. L’alerte sur la dette britannique a été chaude dès lors que ce gouvernement a voulu laisser filer son déficit.
- Des risques de faillites en chaîne sont également apparus sur les cryptoactifs.
- Les Banques centrales assureront la stabilité financière en prêtant en dernier ressort comme la Banque d’Angleterre vient de le faire pour éviter la faillite des fonds de pension. Mais ce n’est pas sans poser des problèmes éthiques , l’aléa moral.
Il est cependant calamiteux que la classe politico-médiatique française cultive autant le déni sur la situation réelle de nos finances publiques.
Un ancien Premier ministre rappelait cette vérité : notre trajectoire de rétablissement financier accuse un retard de 2 ans sur les autres pays de la zone euro.
Dans ses dernières prévisions, le FMI estime que la dette française atteindra le double (en termes relatifs) de la dette allemande en 2027. Il demande à la France de remettre de l’ordre. En vain.
Est-ce soutenable avec une monnaie commune ? Ne serons-nous pas stoppés avant ? Une Union fédérale de la zone euro n’est-elle pas devenue indispensable pour résister aux chocs ? Avec une Union de transferts permanente et une mutualisation de la dette.
Comme Nicolas Baverez, nous pensons qu’une crise de la dette publique française se profile dans cette décennie. Comme Patrick Artus, nous croyons que l’euro peut éclater sans une Union de transferts adossé à une Union fédérale venant compléter la monnaie unique.
Nous n’y sommes absolument pas préparés car la France insouciante, figée dans ses structures politiques et mentales, reste un pays relativement immobile, anesthésié par le déni et les polémiques stériles.
Des solutions existent cependant. On les trouvera dans le projet du CEPS et dans nos 23 chroniques précédentes.