LES TEXTES EN LANGUE D’OÏL, dits « chansons de Geste », souvent servirent à préparer la croisade contre le Midi (les gens du Sud étant réputés ‘hérétiques’, comme les musulmans, et dangereux, comme les juifs)
Michel Jas, ‘Incertitudes, Les cathares à Montpellier’, IEO 2007, p. 68-74 : « Oïl ou Oc : l’esprit de la croisade. Encore une incertitude.
Rita Lejeune écrivait au sujet de « l’esprit de la Croisade » dans le déjà ancien Cahier de Fanjeaux, Paix de Dieu et guerre sainte en Languedoc au XIIIe siècle : « il faut continuer à établir, au delà des textes conservés, une liste acceptable de sujets aujourd’hui disparus » . Le problème qu’elle évoquait consiste dans l’analyse des sources possibles aux épisodes méridionaux des Chansons de geste .
Ces textes qui célèbrent l’époque carolingienne ne nous sont connus aujourd’hui qu’au travers de versions relativement tardives (manuscrits du XIIe et XIIIe siècles) et nordiques (en francien -langue d’Oïl-). Ces épopées essentielles pour comprendre l’environnement émotionnel et culturel du Moyen Age tournent autour des thèmes guerriers : guerre sainte et exploits épiques avec la valorisation de l’idée de Reconquête chrétienne pour l’Europe menacée. Evidemment les siècles se superposent dans la description des évènements. Les Chansons de gestes célèbrent l’héroïsme des carolingiens plusieurs siècles après les célèbres combats stoppant la montée espagnole des sarrasins. Une des plus longues (après la Chanson de Roland) et des plus structurées, forme le cycle de Guillaume d’Orange (ou Guillaume au Court-Nez ou Courb-Nez ou encore Fièrebrace) qui comprend une dizaine d’œuvres poétiques (La chanson d’Aymeri de Narbonne, Les enfances de Guillaume, Le Couronnement de Louis, Le Charroi de Nîmes, La Prise d’Orange, Le Moniage Guillaume, La Chanson de Guillaume, La Chanson d’Aliscans, La Bataille Loquifer ) plusieurs fois remaniées et diversement versifiées. La question est de savoir s’il y eut une tradition épique ininterrompue permettant de remonter à l’époque célébrée.
Joseph Bédier auteur de Les légendes épiques de la France (4 volumes publiés de 1908 à 1913) affirmait que les Chansons correspondaient à de pures créations littéraires et non à des souvenirs historiques. Les thèmes épiques viennent du Nord de la France, même pour le cycle de Guillaume. La prise d’Orange par les Sarrasins (déjà mentionnée par la vie latine de saint Guilhem antérieure aux chansons de geste) ne serait en effet basée sur aucun fait, pas plus que sa Reconquista. La littérature épique en vieux français, création non pas folklorique (ce qui présupposerait quelques restes d’historicité) mais individuelle, après le XIe siècle, ne rencontrerait le Sud du Royaume ou de l’Empire que pour rappeler et célébrer les guerres vers les Marches d’Espagne et pour justifier les différentes étapes du pèlerinage en direction des Saint-Jacques-de-Compostelle ( depuis Aix-la-Chapelle, par Vezelay ou Brioude, le Puy, Alès, Nîmes, Saint-Gilles, Montpellier, Aniane-Gellone, Lodève etc..)
Rita Lejeune refuse le radicalisme critique de Bédier.
Il n’est pas pensable, selon elle, que les régions occitanes n’aient rien apporté au cycle de Guillaume de Gellone ou d’Orange (ou de Narbonne) qui est « leur héros » ! Elle renvoie à l’écriture occitane de la Chanson de la Croisade contre les Albigeois (qui dans sa deuxième partie prend ses distances vis à vis des envahisseurs tout en gardant le style de l’épopée ) et aussi à la Chanson -Canso occitane- d’Antioche pour la Croisade en Orient (qui a pu servir de modèle poétique à la Canso albigeoise). Rita Lejeune qui avait travaillé les sources littéraires et folkloriques antérieures à la Chanson de Roland opte pour l’existence de textes épiques occitans, depuis perdus, témoignant de cet esprit chevaleresque et de combat sacralisé, antérieurs aux rédactions tardives en langue d’Oïl. Les remaniements de ces textes témoignent de leur ancienneté qui serait enracinée dans les traditions locales et orales (donc situées et issues d’un désir populaire), puis de leur adaptation aux thèmes à la mode.
« Tout le Midi de la France a été directement touché – et en profondeur – par le problème de la reconquête et de la conquête sur le monde arabe; il a participé aux Croisades d’Espagne, phénomène beaucoup plus vital pour lui que pour les provinces du Nord. Aussi, s’il y a jamais eu un esprit permanent de croisade dans les régions de France au Moyen Age, et cela pendant des siècles, c’est bien dans celles qui bordent le Golfe du Lion, des Pyrénées aux Alpes – Roussillon, Languedoc, Provence: ces régions avaient trop pâti des incursions ou des établissements des Arabes sur leurs côtes. La reconquête franque de Charles Martel et de Pépin le Bref a durement marqué les villes du littoral de l’embouchure du Rhône à la Catalogne. Sous Charlemagne, en 796, la bataille sur l’Orbieu ou l’Orbiel par laquelle Guillaume de Toulouse parvint, au prix de lourdes pertes, à stopper une invasion de Sarrasins débarqués dans les environs de Narbonne a été ressentie par toute l’histo¬riographie du temps comme un événement de première grandeur. Aussi, ne faut-il pas imputer au hasard le fait que la geste de Guillaume et des Narbonnais constitue le plus vaste ensemble cohérent de nos chansons de geste . Issue du Midi, cette geste des Narbonnais a certainement produit, et fort anciennement, des récits autochtones (…) Les textes de ces versions ont disparu à un moment qu’il nous est impossible de fixer actuellement.»
Apôtre du mouvement occitan, Robert Lafont essaye de prouver, non pour réhabiliter évidemment l’esprit de quelque guerre sainte, mais pour rendre justice à la force poétique du Midi, une antériorité des textes occitans censurés et « recouverts » par le Français : « C’est de cette façon que se mit en place un retournement des traces. A chaque fois qu’un texte épique occitan était retrouvé, il était tenu pour postérieur au texte français. Les Occitans ne pouvaient avoir la tête épique que par procuration ! Et cela dure encore ! » Robert Lafont désigne l’abbé Suger de Saint-Denis-en-France comme certainement le premier responsable de l’effacement occitan au profit des monarques capétiens par une francisation délibérée de certaines Chansons de geste (Fierabas et la seconde partie de Girard de Roussillon) !..
Et pourtant si nous voulions en rester aux sources actuellement disponibles, textes du XIIe ou XIIIe siècles et écrits en langue d’Oïl, il serait tentant de voir derrière les combats glorifiés des amis et de la famille de Charlemagne, dans la geste de Guillaume particulièrement, l’annonce (ou la description) des Croisades en Orient bien sûr, mais aussi de cette cruelle guerre sainte qui ravagera (« purifiera ») en vingt ans le Midi occitan .
Associer les Sarrasins, aux juifs ou aux hérétiques était chose courante dans le légendaire, par exemple le pictural, de l’époque !
….De là à voir quelque intention apologétique dans la relique du bois de la vraie croix apportée à Gellone par Guilhem fils d’Aymeri de Narbonne dans ce Midi réputé docétiste, rationaliste ou dualiste … !
….De là à soupçonner quelques représentations derrière la figure du Géant pagano-Sarrasin, nouveau Goliath, combattu par les héros chrétiens de la geste au XIIe siècle … La tradition locale identifie les ruines du château de Verdun qui domine Saint-Guilhem-le-Désert au château du Géant maléfique.
« Des lors il s’en va, Guillaume le fier
Droit au Désert à côté de Monpellier
A la fontaine au pied du Rocher ;
Un habitacle il y trouve et une chapelle
Les Sarrasins l’avaient toute ravagée.
Là s’installe Guillaume. »
Le Moniage Guillaume I (version courte) v. 848- 853. »