LA RÉFORME DES RETRAITES DANS LE CHAOS COGNITIF

Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Professeur affilié à Toulouse Business School, Ancien directeur régional de la Banque de France. 

« Les Français n’ont pas été informés. »

(François BAYROU)

« Tous les débats sur les retraites ont une caractéristique commune : l’extrême confusion. Plus personne n’y comprend rien. » 

(Éric LE BOUCHER)

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La réforme des retraites est un sujet fascinant, pas en tant que tel mais par ce qu’il révèle du chaos cognitif et des dysfonctionnements de l’information.

Ce sont ces dysfonctionnements et les erreurs de management que nous analysons dans cette chronique.

Dans le contexte d’une réforme qui serait finalement très diluée dans le temps (2027-2030) et nettement en deçà des autres pays européens (63-64 ans en France au lieu de 65-67 ailleurs).

I) Au départ rien de plus banal : il faut financer nos retraites dans un contexte où la population vieillit. Nous n’avons plus aujourd’hui que 1,5 cotisant par retraité contre 3 pour 1 il y a quarante ans et 6 pour 1 à l’origine. L’ espérance de vie augmente. Depuis 1981 (et la sacro-sainte retraite à 60 ans), l’espérance de vie a augmenté de 8 ans.

C’est la raison pour laquelle la discrète Loi Touraine (2014) avait prévu une augmentation régulière et automatique de la durée de cotisation.

L’État emprunte chaque année 30 milliards pour payer les retraites des fonctionnaires (selon la Cour des comptes) ce qu’aucun média ne signale.

Actuellement équilibré, le régime général présentera à court-moyen terme un déficit de 15 milliards par an en moyenne (selon le COR). Mais à condition que la croissance atteigne 1,5 % l’an ce qui n’est nullement acquis.

Soit au total une dette supplémentaire-retraites de 200 milliards environ sur le quinquennat qui s’ajouterait, en l’absence de réforme, à une dette publique abyssale de 3000 milliards qui s’accroît sans cesse. La France va emprunter cette année 270 milliards d’euros pour combler son déficit, payer les intérêts de sa dette et amortir le principal. Soit 8 562 euros par seconde ! Avec en perspective une dégradation de sa note chez Standard and Poor….et un renchérissement continu des taux d’intérêt.

La réforme des retraites est le seul élément de redressement de notre trajectoire financière (2027).

Il faut donc cotiser plus longtemps et l’ engagement du président de la République en campagne était de 4 mois de plus par an. Pas vraiment la mer à boire ni de quoi fouetter un chat ! Finalement, ce ne serait que 3 mois.

II) Le problème à résoudre n’est pas si difficile, mais le chaos cognitif dans lequel nous sommes vient tout compliquer. Le dysfonctionnement des différents acteurs, le « délire informationnel » ( selon l’expression de mon collègue Francis Massé) aveuglent les Français qui à près de 70 % rejettent cette réforme sociale dont le seul but est pourtant de financer leurs retraites.

Au départ (2019), un président de la République très jeune préfère opter pour une réforme mirobolante, la « retraite à points », plutôt que de s’inscrire en l’adaptant dans la ligne de la sage Loi Touraine qui prévoyait une augmentation régulière de la durée de cotisation.

Erreur de casting.

La belle réforme « à points » , séduisante sur le papier, s’avère vite infaisable car illisible et donc invendable. Il l’abandonne en 2020 mais les esprits en sont restés troublés.

On en revient alors à une réforme dite « paramétrique » dont la bannière, très mal présentée en 2022, va s’incarner exclusivement dans les « 65 ans ».

Mais quid de ceux qui ont commencé à travailler à 16-18-20 ans ?

Le gouvernement a répondu tardivement en introduisant l’âge de début qui leur permettrait de partir plus tôt : 40 % des Français partiraient finalement avant 64 ans en raison des carrières longues ou de la pénibilité, mais là encore la communication a été désastreuse car les médias ne l’ont pas précisé.

Mal informée, l’opinion s’est donc cristallisée dans le refus.

C’est une réforme technique qui se présente comme une équation à 4 variables : l’âge de début, l’âge légal, l’âge maximum et surtout la durée de cotisation.

Trop difficile pour un média de l’expliquer car les auditeurs ne peuvent soutenir leur attention plus de 45 secondes (contre 30 secondes nous dit-on pour le poisson rouge !). Mieux vaut faire le buzz en invitant des « experts » opportunistes qui diront que « l’on ne comprend pas » les raisons de cette réforme faite « pour faire plaisir à l’Europe » et qui est « avant tout politique ».

Chaos cognitif assuré !

Il est vrai que pour embrouiller encore plus les Français on a fait dire au Conseil d’Orientation des Retraites (COR) ce qu’il n’a jamais dit : sous prétexte que les comptes du régime général étaient équilibrés en 2021, la réforme ne serait pas nécessaire. En oubliant en route le déficit des fonctionnaires (30 milliards par an) totalement occulté, et les prévisions du COR sur le déficit du régime général jusqu’en 2030.

Et voici que le président de la République est venu à nouveau créer l’ambiguïté en affirmant, durant sa campagne, que la réforme des retraites contribuerait à financer la transition énergétique et les investissements d’avenir.

Certes, il a raison d’affirmer que la France ne travaille pas assez comme le démontrent tous les rapports. Le taux d’emploi des plus de 60 ans est deux fois plus bas qu’en Allemagne. Beaucoup plus bas que dans le reste du monde.

Mais les Français comprennent alors l’inacceptable : seuls les salariés paieraient pour tout !

Rejet assuré.

III) La Première ministre a raison d’affirmer que la réforme des retraites doit servir à financer les retraites. Point !

Et que dans la réforme l’ensemble des paramètres jouera et pas seulement l’âge légal qui serait reporté finalement à 64 ans en 2030. Alors que dans toute la zone euro, on sera à 65-67 ans dès 2024.

Aux bavardages incessants et aux approximations des médias s’ajoute enfin l’irresponsabilité accablante des organisations syndicales qui refusent de négocier le financement des retraites depuis 2019 et prennent donc le risque d’un effondrement des pensions.

Avec nos syndicats, nous sommes face à cette tragique singularité française : le moins de syndiqués et le plus de journées de grève en Europe !

Cette débandade du syndicalisme français qui contraste avec la force des syndicats dans les social-démocraties du Nord de l’Europe entraîne la course de leurs dirigeants aux extrêmes dans la politique du « Zéro Négociation » qui conduit à l’incivisme et au blocage.

La réforme des retraites ne serait pas une réforme difficile. Si elle était correctement expliquée, négociée et accompagnée par des mesures sur la pénibilité et sur le soutien à la fin de la vie professionnelle.

Le gouvernement s’est engagé dans cette voie mais il n’a pas de partenaires.

La France a réformé ses retraites en 1993, 2003, 2010 et 2014. Il suffit de poursuivre en lien avec la démographie. En essayant de réconcilier les Français avec le travail (bien être , intéressement, participation, créativité…).

Ce sont nos comportements qui créent le chaos cognitif et bloquent toute négociation, ainsi que des erreurs de management qui ressemblent en l’espèce à un cas d’École :

  • avoir voulu faire compliqué au lieu de faire simple dans la continuité de la sage Loi Touraine ;
  • avoir polarisé longtemps la communication sur l’âge légal ( les « 65 ans ») au mépris de ceux qui ont commencé tôt leur vie professionnelle ;
  • avoir prétendu négocier sans poser le cadre préalable de la négociation : l’augmentation de la durée de cotisation n’était pas négociable ;
  • enfin s’adresser aux Français par médias interposés sans jamais le faire directement comme le faisaient autrefois nos grands présidents pour expliquer clairement le pourquoi et le comment.

Pour la France :

Avoir enfin le « courage de la nuance », selon la belle formule de Jean Birnbaum, au lieu de sombrer dans les slogans et l’émotionnel. La régression de l’information, le chaos cognitif.

Si nous voulons conserver nos retraites il faut les financer !

A défaut, de multiples scénarios d’effondrement existent : désindexation permanente, baisse des pensions , crise financière sur la dette française. Ce serait le pire des dénouements.