Économiser l’énergie pour sauver le climat et l’économie

Les approvisionnements de l’Europe en gaz, pétrole et charbon russes représentent un gros tiers de sa consommation d’énergie primaire.

Être solidaires de l’Ukraine doit donc nous conduire à nous en passer d’autant que nous n’aurons bientôt plus le choix.

Mais ce sujet n’est que l’arbre qui cache la forêt ! Économiser l’énergie tout de suite est indispensable pour sauver le climat et stabiliser l’économie mondiale menacée de récession en 2023.

I) Le pétrole :

Le monde est entré dans une déplétion énergétique depuis longtemps annoncée (en 1972 par le Club de Rome), et confirmée en 2018 par les experts de l’Agence Internationale de l’Energie ( cf « Energy outlook ») s’agissant du pétrole traditionnel dont la quantité diminue depuis 2008. La production mondiale de pétrole, soutenue par l’expédient des schistes, stagne désormais au niveau de 2019 et l’exploration est tombée au niveau le plus bas de toute l’histoire industrielle comme indiqué sur le graphique joint. Alors que l’or noir représente plus du tiers de l’énergie primaire mondiale, sa production diminuera verticalement à partir de 2030, mais ce sujet est ignoré des médias. La demande continue d’augmenter alors que le pic du pétrole est passé. D’où la fin programmée des voitures thermiques.

Cette contrainte est peut-être notre dernière chance de sauver le climat, en faisant dès maintenant un effort maximum pour économiser l’énergie.

II) Le réchauffement :

La réalité du réchauffement climatique est implacable :

  • Nous ne sommes pas sur la trajectoire recommandée par l’accord de Paris (2015) ni par les Nations Unies qui prescrivent de limiter le réchauffement à 1,5 degré ; l’ONU nous alerte que le réchauffement s’accélère. Nous sommes sur une trajectoire de 3 degrés au moins (soit avec les océans, mais de 6 degrés sur notre continent ! ). Et à condition que les engagements pris antérieurement soient tenus. Or cette trajectoire est insoutenable pour l’espèce humaine car elle provoquerait le stress hydrique pour la moitié de l’humanité avant 10 ans, la chute des rendements agricoles, des migrations massives débouchant sur la multiplication des guerres et des pandémies. Bref, le chaos !
  • Il ne nous reste que très peu de temps pour réagir : les erreurs de trajectoires sur le réchauffement sont irréversibles car le carbone que nous émettons reste indéfiniment dans l’espace. Le défi à relever est colossal puisqu’il consiste à réduire les émissions de 5 % par an ( soit l’équivalent de 2020, l’année du confinement ! ) alors que les énergies carbonées représentent encore 80 % du total et ne reculent que très lentement.
  • Réorienter nos esprits vers le long terme, ce qui suppose d’abandonner notre confort immédiat pour le salut collectif alors que la sixième extinction de masse est commencée. Il n’y a plus de droit à l’erreur ! Dans son rapport du 25 juin, l’ONU nous prévient désormais qu’un effondrement généralisé de nos sociétés est possible.

III) Le déni :

Face à cet enjeu de survie de l’humanité- et non de la planète-, trois types de comportements structurent aujourd’hui l’opinion. Les deux premiers conduisent au déni de réalité, seul le troisième conduit à l’action responsable :

  • « L’ultracrespidarianisme » ( mot savant d’origine grecque ) désigne l’ignorant qui croit tout savoir, commente tout, mais en réalité ne sait rien. On en trouve encore beaucoup qui nient l’existence même du réchauffement alors que l’effet de serre est connu depuis le 18 ème siècle, ou qui estiment qu’il n’y a pas de conséquences fâcheuses. Il y a aussi ceux qui pensent qu’il faut démonter les éoliennes ! Bref, ce sont les effets délétères des réseaux sociaux où l’ignorance et la gougaterie sont reines.
  • Les « cornucopiens » (mot d’origine latine ) pensent gentiment que nous serons sauvés par la science comme les cow-boys par la cavalerie. Pour eux, des aspirateurs géants iront chercher le carbone dans l’espace ou bloqueront son émission à la source.

Les cornucopiens surestiment les pouvoirs de la science et sous-estiment le coût colossal de ces innovations si tant est qu’elles voient le jour. En toute hypothèse, ce serait bien une croissance à rendements décroissants. Car à coûts croissants !

  • Notons également le coût de cette transition énergétique (au travers d’un surcroît d’investissement) estimé par l’économiste Patrick Artus à 4 points de PIB (à soustraire de nos niveaux de vie). Il s’agit donc bien d’une « pseudo-croissance » à rendements décroissants !

IV) Agir : 

Reste la troisième catégorie, celle des esprits rationnels et lucides à laquelle appartiennent vos chroniqueurs du Centre d’Étude et de Prospective Stratégique.

Pour nous, il n’y a que trois options et peu de temps pour agir :

  • économiser massivement l’énergie ; innover;
  • accélérer les renouvelables ;
  • relancer en grand le nucléaire.

L’examen attentif des données physiques montre que nous ne pourrons pas choisir entre ces trois options, mais que nous ne stabiliserons le climat et l’économie qu’en mobilisant les trois à la fois pour atteindre deux objectifs théoriquement inatteignables : la neutralité carbone en 2050, précédée d’une division des émissions par deux en 2030 ( versus 1990).

Commençons par la fin : l’énergie nucléaire est une énergie très puissante et décarbonée. En théorie, les réacteurs de la quatrième génération, non encore conçus, seront capables de carburer les déchets radioactifs et de diminuer par quatre les besoins en uranium. C’est le projet ASTRID, lancé par Jacques Chirac et la Commission du grand emprunt Juppé-Rocard que le gouvernement a dramatiquement abandonné en 2019. Il faut le relancer d’urgence !

Aujourd’hui la moitié de nos centrales nucléaires sont arrêtées et fissurées. La France du général de Gaulle qui était jadis à la pointe de l’énergie nucléaire est actuellement en situation de débâcle au point que l’on risque de manquer d’électricité cet hiver. Le DG de la sécurité nucléaire a lancé un appel pour un « plan Marshall » du nucléaire français ! On croit rêver…..

Il faudra au moins 10 ans pour nous redonner une énergie nucléaire de pointe, si possible en partenariats européens pour cette nouvelle génération de réacteurs, mais sous réserve que la baisse du débit des rivières ne soit pas un obstacle rédhibitoire au refroidissement des centrales ( on a appris cet été que la France avait perdu 14 % de ses ressources en eau au cours des deux dernières décennies ).

S’agissant des renouvelables, le développement du solaire est très prometteur, mais les éoliennes butent sur des limites d’acceptabilité par la population, sauf en mer. A condition de le produire par de l’électricité verte, l’hydrogène est un vecteur énergétique propre permettant de gérer l’intermittence des renouvelables.

Dans cette course contre la montre avec le climat, nous voyons ainsi que la part de l’énergie carbonée ( 80 % du total) n’évoluera que très lentement alors que les demandes mondiales d’électricité et de pétrole vont continuer d’augmenter substantiellement faute d’économies d’énergie.

La solution numéro 1 reste donc et de très loin les économies massives d’énergie. Comme esquissé par le président de la République le 14 juillet.

Une Convention citoyenne a été réunie en 2020. Elle a fait 150 propositions. Combien ont été reprises concrètement ?

V) Économies massives d’énergie :

Nous proposons ici un plan massif fondé sur un changement de nos comportements qui permettrait également de stabiliser le prix de l’énergie et d’éviter la récession de l’économie mondiale qui sera inévitable si les prix continuent d’augmenter :

  • Éviter la voiture chaque fois qu’un mode de transport collectif est possible ; privilégier le train ; relancer les investissements dans le réseau ferré et le ferroroutage; partager les voitures ; généraliser le télétravail ;
  • Éviter les voyages ; pratiquer un tourisme de proximité ;
  • Diminuer la vitesse sur route et autoroute ;
  • Diminuer le chauffage de 2-3 degrés l’hiver en s’habillant davantage ;
  • Cesser d’éclairer les villes la nuit pleins feux ;
  • Manger local et de saison, diminuer la consommation de viande ;
  • Privilégier les circuits courts et l’économie circulaire ; les marchés de proximité ;
  • Indiquer sur les produits leur prix- carbone ;
  • Réorienter ainsi nos modes de vie et de consommation pour les décarboner massivement.

Le comportement des particuliers peut résoudre 1/3 de la crise énergétique et climatique, le business les 2/3 restant avec notamment une taxe carbone aux frontières européennes.

Économiser l’énergie c’est donc une urgence absolue ! La meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas.

Un plan massif d’économies d’énergie permettrait en outre de stabiliser l’économie mondiale en limitant le prix de l’énergie et par voie de conséquence le niveau de l’inflation et des taux d’intérêt.

Tous les problèmes sont liés : énergie-climat-dette-stagflation ne font qu’un en réalité. C’est ce que la plupart des analystes ne comprennent pas en raison de la rupture du lien épistémologique entre économie et physique.

La classe politique française doit en outre revoir ses clichés :

Nous allons devoir travailler beaucoup plus pour financer la transition énergétique et faire face à la déplétion de l’énergie cher M Mélenchon, tout en réduisant les inégalités de patrimoines, revenues à leur niveau d’avant 1914, cher M Macron. En effet, pas de réussite de la transition énergétique sans réduction des inégalités cher M Macron et chers dirigeants européens. Et l’on ne pourra pas stabiliser nos niveaux de vie sans le nucléaire cher M Mélenchon et cher M Jadot, mais aucune stabilisation du climat et de l’économie n’interviendra sans des économies massives d’énergie qui remettront en cause toutes nos habitudes chère Mme Le Pen et chers Républicains.

Nous devrons en finir avec notre goût mortel de la démesure et de la vanité. Quand on voit notre président serrer dans ses bras un joueur de foot qui gagne 2,3 millions par mois (!), on croit rêver. Ou quand on voit déjà exploser les budgets des J.O 2024 et les rémunérations de leurs dirigeants ……C’est l’équivalent des statuts géantes qui ont tué la civilisation de l’île de Pâques en asséchant ses ressources….

Le nullissime débat politique français, la course à la démagogie et au mensonge par omission expliquent qu’une large majorité de Français ne votent plus ou votent blanc et que les votants eux-mêmes ne savent plus pour qui voter…..

Cessons donc de mentir. Et de nous mentir à nous-mêmes.

Attention ! Dans cette affaire l’indifférence tue. Et la démocratie est déjà blessée.

par Maxime Maury – Professeur affilié à Toulouse Business School – Ancien directeur régional de la Banque de France

«  Nous devons nous préparer à une économie de guerre. »
( Jacques Attali)

« La France se prépare à une économie de guerre. »
( Vincent Collen , Les Échos)