Quelques réflexions sur la situation politique de l’Etat français Et la démocratie souhaitable


Le mercredi 14 octobre 2025, j’ai suivi en direct la déclaration de politique générale du Premier ministre
Sébastien Lecornu. De nombreux sujets ont été évoqués, comme il se doit dans ce genre de sport : budget
2026, économie, déficit, fiscalité des grandes fortunes, retraites, le 49-3, décentralisation, Nouvelle-Calédonie,
questions des Outre-mer, projet de loi sur la Corse, etc…
Mais surprise : le seul sujet qui semblait intéresser les médias, c’était la question de la suspension de la
loi sur les retraites, qui revenait en boucle dans tous les commentaires, pour la lier au vote par le Parti socialiste
d’une éventuelle censure du gouvernement nouvellement constitué … avant que l’Assemblée ait commencé à
délibérer sur des propositions concrètes ! Et de fait deux motions de censure furent déposées par le RN (Front
National de la famille Le Pen) et LFI (Propriété de Mélenchon) avant même la déclaration de politique
générale de Sébastien Lecornu .
J’avoue que pour le coup j’ai du mal à comprendre, en tant que simple citoyen, le fonctionnement de
notre République, que je croyais démocratique. Car pour moi la démocratie, sur un sujet donné c’est d’abord
la discussion, la délibération d’où sortira un texte amandé, qui sera enfin soumis au vote, et donc adopté ou
rejeté par une majorité. C’est, me semble-t-il, le rôle d’un Parlement élu par le peuple.
Mais ne soyons pas naïfs, nous savons tous et toutes que le but des motions de censure citées
précédemment n’ont qu’un seul but : arriver pour les uns à une dissolution de l’Assemblée et pour les autres
à une démission du Président de la République, chacun espérant remporter la mise, du moins le croient-ils,
tant il est vrai que tous les chefs de parti ne pensent qu’à concourir pour s’emparer du pouvoir élyséen, dès le
lendemain même d’une élection présidentielle… Et là nous sommes loin des préoccupations quotidiennes des
populations.
Cela nous amène à voir ce qu’est la démocratie en France, aujourd’hui et dans l’Histoire. L’Etat actuel
est régi par la Constitution de 1958, qui copie celle de l’an VIII, en ce sens qu’elle établit « une république
une et indivisible » et donne le pouvoir suprême à un Président successeur du Premier consul Bonaparte ! On
sait ce qu’il en ait advenu ensuite avec la dictature napoléonienne. En 1958 cette Constitution fut conçue par
Michel Debré pour la personnalité de De Gaulle. Quoi qu’on puisse penser de la politique du général, sur le
plan démocratique le parlement a pu jouer son rôle de délibération avec un gouvernement jouissant d’une
certaine autonomie par rapport à l’Elysée pour la gestion des affaires intérieures, le Président se réservant la
politique extérieure. On peut dire en gros la même chose pour la présidence de François Mitterrand, qui sut
cohabiter avec des gouvernements ne partageant pas toujours ses convictions… même avec le socialiste
Michel Rocard ! Ces deux présidents ont donc respecté dans l’ensemble les décisions des votes populaires.
Mais depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel direct pour cinq ans, le
pouvoir du Chef de l’Etat sera de plus en plus renforcé. Le rôle du Premier ministre et du Parlement sera
soumis à l’entière volonté de l’Elysée : tout part de l’Elysée et remonte à l’Elysée. Nous sommes dans une
République bonapartiste qui n’a plus rien à voir avec une véritable démocratie. Le Président peut faire ce qu’il
veut quand il veut, et les turbulences de ces dernières années l’ont démontré.
Or il faut bien dire que depuis la Révolution, les moments d’une véritable démocratie furent rares en
France. Si les débuts des événements de 1789 ont été marqués par un défoulement démocratique du peuple, à
partir du coup d’Etat des Jacobins du parti Montagnard avec Robespierre c’est une dictature centraliste qui
dominera la vie publique tant à Paris qu’en provinces. La Révolution sera faite par une bourgeoisie parisienne
masculine pour rentabiliser ses affaires, avec le ralliement des bourgeoisies locales qui abandonneront leurs
propres cultures. Le Consulat et la dictature napoléonienne codifieront et figeront « dans le marbre » cette
situation : on peut lire dans l’article1 de la Constitution de l’An VIII : La République française est une et
indivisible. – Son territoire européen est distribué en départements et arrondissements communaux. Et dans
leur proclamation au peuple, les consuls lancent : Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont
commencée : elle est finie ! Et Napoléon renforcera ce centralisme forcené en créant les préfets qui seront les
représentants directs du pouvoir suprême, chargés de contrôler les élus locaux et de décider en fin de course.

Dès lors les citoyens français s’habitueront à être gouvernés par « un grand chef » résidant à Paris, au
détriment des intérêts locaux et des régions. Ils se jetteront périodiquement dans les bras d’un « sauveur » et
accepteront des régimes autoritaires, comme les deux empires ou Vichy, même si des réactions salutaires par
des minorités interviendront au bout d’un certain temps.
Aujourd’hui le pouvoir élyséen est de plus en plus contesté, mais la majorité des citoyennes et des
citoyens, chloroformés par la classe politique parisianisée, est-elle prête à exiger une véritable démocratie, en
évoluant vers une république fédérale (de simples mesures périodiques de décentralisation ne résolvent pas
les problèmes de fond) ? Avec des régions autonomes possédant leur propre assemblée et leur propre
gouvernement pour mieux gérer les affaires au plus près du peuple, l’Etat conservant ses compétences
régaliennes ; avec la suppression du quinquennat présidentiel et l’élection d’un Président par le Congrès ; avec
l’élection d’une Assemblée Nationale qui choisirait son gouvernement en fonction des résultats électoraux et
des alliances concertées entre les groupes politiques.
A l’heure où nous assistons dans le monde à un combat crucial entre les démocraties et les régimes
fascisants en ascension, c’est une véritable révolution des comportements qu’il faut envisager…
Jòrdi Labouysse
Citoyen occitan de l’Etat français
19 octobre 2025