Un retour de « la Peste brune » ?

Lettre ouverte à mon camarade d’enfance Cantocoucut
Mercredi 3 juillet 2024
Mon cher camarade,
Dimanche soir à l’annonce des premiers résultats des Législatives, j’étais près de toi quand tu entonnas
cet hymne célèbre : « Maréchal nous voilà ! », que l’on apprenait à l’école sous l’occupation nazie, non pas
pour Marion Maréchal-Le Pen, mais en l’honneur du vieux chef de l’Etat français installé à Vichy. T’en
souviens-tu ?
En même temps je voyais les scores de l’extrême droite à Villemur, notre ville natale ancienne
« capitale » du catharisme en Bas-Quercy, et dans tous les villages alentour le long de la vallée du Tarn en ce
dimanche 30 juin 2024 : environ 50% pour le FN-RN ! Et même 53% à Villematier – un record départemental-
ce village si tranquille… où fut retrouvé dans un fossé le corps du jeune Paul Futter cet ancien élève juif de
l’école Saint-Pierre de Villemur, assassiné par les SS voici tout juste 80 ans le 28 juin 1944, sans avoir parlé
sous la torture, sans n’avoir dénoncé ni son école ni la ferme où travaillaient ses parents. Quel courage ! Que
penserait-il aujourd’hui ?…
Je ne peux m’empêcher de penser aussi au drame du village de Villaudric le 20 août 1944, où furent
assassinés une vingtaine d’habitants -dont un cousin de mon père- le jour de la Libération de Toulouse et où
j’aurais pu être moi aussi tué avec mes parents et mon frère… à deux minutes près si des gendarmes prévenus
ne nous avaient pas arrêtés avant de franchir le pont de Villemur à vélo !
Toujours en 1944, cette fois au lycée Ingres de Montauban où je fus interne de la 7e à la Terminale :
c’est cet ancien élève puis surveillant au lycée -Louis Sabatié, qui dirigeait un réseau de résistance et fut arrêté
devant les élèves puis fusillé par la milice française à la prison Saint-Michel de Toulouse : il n’avait pas 20
ans.
Après ces événements funestes, on aurait pu penser que cette violence de l’occupant avec la complicité
du gouvernement fasciste de la France d’alors serait du passé. On aurait pu croire encore que ces événements
et ces actes de résistance de gens ordinaires -devenus des héros malgré eux- auraient pu faire dire à toutes et
à tous : « Plus jamais ça ! »
Mais non ! et là aussi on ne peut oublier les crimes des héritiers de Vichy lors de la guerre d’Algérie
(dont un certain J-M. Le Pen) et en particulier en 1961 – 1962 les fameuses « nuits bleues » de la ville rose où
les bombes de l’OAS se multipliaient aux quatre coins de la cité et dans les environs. C’est ainsi que l’OAS
fit sauter la librairie de « Témoignage chrétien » rue Croix-Baragnon le 21 octobre 1961 : j’étais alors étudiant
et je venais de passer …
Ce commando OAS de Toulouse sera arrêté : 16 membres seront jugés à Paris en mai 1962 pour
« attentats et complot contre la sûreté de l’Etat ». De lourdes peines seront requises : de longues années de
prison pour certains – dont 15 ans pour Jean Allais ancien adjoint au maire de Toulouse et originaire de
Bondigoux près de Villemur-, la perpétuité pour d’autres et même la mort pour le chef du réseau.
Des dizaines d’autres réseaux OAS seront démantelés dans les mois suivants un peu partout. Mais
rassure-toi pour eux l’ami, malgré les 1500 morts causés par ces attentats entre avril 1961 et avril 1962, les
officiers qui dirigeaient l’OAS seront amnistiés en 1968 et leur carrière sera même reconstituée après mai
1981 !
Et en mars 1986, certains entreront au Parlement comme députés sous l’étiquette du Front National d’un
certain Jean-Marie Le Pen : tel Pierre Sergent député FN des Pyrénées Orientales, pourtant deux fois
condamné à mort pour terrorisme ! Ce qui est le plus cocasse, c’est qu’on verra alors ces mêmes terroristes
d’hier, écharpés de tricolore comme députés « français », qui manifesteront pour réclamer le rétablissement
de la peine de mort… face au terrorisme !!!Alors mon cher Cantocoucut qu’en est-il aujourd’hui ? Tu le sais, tous « ces braves gens » ont fait des
petits et ils sont tous bien au chaud dans les jupons de la Marine en attendant le « grand jour », où ils
propulseront à Matignon leur jeune « trou du cul » qui vient de naître, pour s’emparer du pouvoir
démocratiquement, ce que leurs aînés n’ont pu réaliser, malgré leurs divers coups d’Etat et autres crimes
perpétrés de mai 1958 à 1962.
Ne soyons pas dupes. Nous connaissons toi et moi leur idéologie : xénophobie, climato-scepticisme,
repli identitaire et nationalisme français exacerbé, exclusions sociales et sociétales, rejet de l’autre et des
différences, remise en cause de la liberté d’information, mépris de l’idéal européen et des cultures historiques
de nos régions, un culte fanatique pour les dictatures dans le Monde et les « hommes forts » dont Poutine est
l’incarnation. Bref l’Histoire se répète : une internationale de l’extrême droite est en train de se reconstituer
en Europe … en attendant l’élection de Trump aux USA ?
Dans ce contexte, celles et ceux qui prônent aujourd’hui la politique du « ni…ni », en agitant
systématiquement l’épouvantail Mélenchon en guise de seul programme, sont des irresponsables et futurs
coupables devant l’Histoire. Bien sûr, tu as raison de dire que toute la classe politique parisienne porte une
lourde responsabilité dans cette situation inédite depuis la Libération, à commencer par Macron qui décida
seul du haut de l’Olympe élyséen une dissolution de l’Assemblée nationale sans rapport avec les Européennes.
Quand on ne règle pas les problèmes en amont dans une société, on est condamné à les subir. On ne peut pas
gouverner contre une majorité du peuple, ce qu’ont pourtant fait tous les gouvernements jusqu’à aujourd’hui.
C’est pourquoi une fois le danger fasciste écarté, il faut espérer que de nouveaux gouvernants, soucieux
d’un fonctionnement démocratique de l’Etat, s’attaqueront sans tarder aux problèmes sociaux et sociétaux sur
le fond, dans le dialogue avec les élus, les syndicats et les diverses associations concernées.
Mais sans une réforme profonde des institutions de l’Etat, rien ne sera possible. En effet on l’a bien vu
durant ces jours derniers et même depuis des années : la France est un des seuls Etats d’Europe ultra centralisé
avec une Constitution bonapartiste inspirée de celle de l’an VIII, qui donne dangereusement les pleins pouvoirs
à un seul homme trônant à l’Elysée : tout descend de Paris et tout y remonte ! La 5e république est à bout de
souffle, mais il ne s’agira pas de changer simplement de numéro : une nouvelle constitution devra établir une
république fédérale ou fédérative comme on disait en 1789, où les régions remodelées et autonomes seront un
véritable contre-pouvoir par rapport à Paris, de manière que les décisions pour les intérêts essentiels des
citoyens soient prises au plus près des espaces de vie.
Tu vas peut-être penser, mon cher Cantocoucut, que tout ceci est un vœu pieux ! Mais non et je
terminerai par ce vers optimiste de notre poétesse occitane du Tarn -Louisa Paulin- que tu connais bien, tiré
de son poème admirable sur Montségur, écrit peu de temps avant sa mort en 1944 :
« Quand cresiàm tot perdut, Aujòl, as tot salvat. »
Quand nous croyions tout perdu, Ancêtre, tu as tout sauvé.
Adiu e a leu
Ton amic Jòrdi