Extrait de « Lettre ouverte aux Français d’un Occitan »

Domenge-Peire Fabre  

par l’intellectuel et universitaire Occitan Robert Lafont qui aurait eu 101 ans le 16 Mars dernier.p.114-116. Albin Michel. 1973. « Non, je ne suis pas du Sud… »(…) Non, je ne suis pas un homme du Sud. Je suis un Occitan, là où il est. Si vous voulez me situer par rapport à la mer, je vous répondrai que je suis un Méditerranéen du Nord. Je déteste le pittoresque, je dénonce le folklore s’il se met en représentation. Si je m’enivre de mon pays c’est en le connaissant authentique : il m’a fallu des années pour cela, de familiarité et de recherches, et gratter votre « façade méditerranéenne ». Vous voulez vous enivrer avec moi ? Apprenez donc la patience ; et apprenez la Langue d’Oc, ça n’est pas inutile. Commencez à aimer, outre ses beautés que je ne vous refuse pas, mais que je ne vous vends pas, « cette mienne, pauvre, sale, triste malchanceuse patrie » (je cite ici un grand Catalan, Salvador Espriu), d’où partent tous les ans des jeunes travailleurs pour vous faire de la place, à vous, les non-Occitans, et aux Allemands, aux Belges, aux Hollandais, aux Anglais qui vous talonnent.Je ne suis pas du Sud, parce que ça fait trop longtemps que le Sud vous le consommez, vous le bouffez, vous le digérez, vous le rotez, vous le déféquez en vos officines littéraires ou touristiques. Encore faut-il que nous vous l’apprêtions, que nous le festonnions de garrigues, que nous l’épicions d’accent, que nous galégions en vous le servant.Je ne suis pas du Sud, parce que le Nord est au-dessus du Sud : on monte vers nous, on descend vers nous. Je n’en suis plus parce que les grandes invasions ont recommencé, qui nous viennent tordre la destinée aux épaules sous prétextes de nous aménager et de nous développer. Pour les justifier, pour les grossir, vous avez pris à la botanique un beau mot grec : l’héliotropisme ! Eh bien ! puisque le soleil est chez nous, admettez que nous n’allions pas le chercher ailleurs et que nous ne tournesolions pas à votre avantage, à notre désavantage.Je ne suis pas du Sud, parce que le Sud me place sur des tréteaux où m’agitent comme une marionnette vos écrivains, vos industriels, vos capitalistes, vos technocrates, vos marchands de loisirs, de silence, de méditerranée, de golfes de Gascogne, de soleil, de cigales, de mépris.Je ne suis pas du Sud. Je ne galège pas, je suis un autonomiste occitan, démocrate chez lui. Soyez-le chez nous. Ici vous n’êtes pas le pouvoir du peuple, mais le pouvoir sur le peuple. Je ne suis pas du Sud, parce que le Sud c’est le peuple vulgaire, roulé dans sa soumission.Je ne m’encanaille plus en moi. Je ne joue plus de rôle. Le spectacle est interrompu. Votre comédie fait relâche. Marius et Olive ont été rangés au musée des Arts et Traditions impopulaires. » »Non, je ne suis pas du Sud… « Robert Lafont.Photo : Capitole de Toulouse.