POUR UNE VÉRITABLE FÉDÉRATION EUROPÉENNE, SOUVERAINE ET RÉSILIENTE

« Le buzz cache la tendance. »

( Loïc Tribot La Spière, délégué général du CEPS)

« Nous devons nous attendre à ce qu’un jour la Russie attaque un pays de l’OTAN. »

( Boris Pistorius , ministre de La Défense allemand )

Oui à l’Europe ! Mais quelle Europe ?

Cette année sera celle de la transformation politique de l’Europe ou du début de sa déconstruction.

Plusieurs responsables de la défense, allemand , anglais et français estiment plausible sinon probable une attaque de la Russie contre un pays de l’OTAN à moyen terme.

Par ailleurs, dans la zone euro les niveaux de vie et d’endettement divergent depuis trop longtemps. Et le décrochage de la zone euro par les États-Unis est de plus en plus impressionnant ( croissance, productivité , R et D).

Mais comme d’habitude, dans quelques mois, « le buzz va cacher la tendance » :

En juin, pour les élections européennes le populisme vous murmurera : « À bas l’Union Européenne ! ». Et la démagogie dispose en effet des meilleures chances de gagner cette élection. Comme l’écrivait Péguy : « Le triomphe des démagogues est passager mais leurs ruines sont éternelles. »

Vous aurez l’élitisme qui lui répondra : « Oui à l’Europe ! » Certes, mais quelle Europe ?

Nous avons encore plus besoin d’Europe à l’heure des grandes puissances continentales, mais nous devons réorienter la construction européenne pour la consolider et la démocratiser.

La tendance de fond c’est que l’Europe se trouve dans une impasse stratégique qui comporte cinq contradictions :

  • On ne peut être à la fois les champions de la « concurrence libre et non faussée » et des normes environnementales. Il faut choisir.
  • On ne peut vouloir en même temps un élargissement sans fin vers l’Est et une Fédération européenne où les décisions se prendront enfin à la majorité.
  • On ne peut avoir éternellement une monnaie sans gouvernement avec vingt politiques budgétaires différentes. Et des niveaux d’endettement et de revenu divergents.
  • On ne peut s’en remettre à des États surendettés pour financer la transition énergétique.
  • On ne peut vouloir, comme le regretté Jacques DELORS, une « Fédération d’États-nation » et laisser à la Commission européenne le soin de dicter ses normes aux nations. En effet, le principe fédéral est fondé sur la subsidiarité. Dit autrement , tout ce qui n’est pas fédéral devrait être laissé à l’appréciation des nations. Et susciter l’adhésion en renforçant la démocratie.

La vraie tendance qui se dessine est celle-ci : si l’on ne refonde pas radicalement le projet européen cette année à l’occasion des élections européennes, l’Europe risque de s’effacer comme une utopie mal ficelée. Et nous régresserons.

I) Pour une Europe souveraine et résiliente:

Les données récentes du commerce international montrent que la dé-mondialisation est engagée , le monde se fragmente et s’organise autour de grandes régions souveraines qui admettent une dose de protectionnisme.

L’Europe actuelle est fondée sur le mythe de « la concurrence libre et non faussée ».

Que personne dans le monde ne pratique à part nous !

La crise agricole a mis à jour les contradictions de la construction européenne. Champions de la lutte contre le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité , nous signons des accords commerciaux asymétriques. Et il est très difficile de faire respecter des « clauses-miroir » fondées sur des normes équivalentes.

L’Europe a besoin d’instaurer une taxe carbone aux frontières et celle-ci, difficile à bien concevoir, tarde à venir. Elle devrait être le socle fiscal d’une dette fédérale servant à financer les investissements les moins rentables de la transition énergétique.

L’Europe a également besoin d’une résilience de ses territoires orientés vers l’autonomie énergétique et alimentaire en développant des circuits courts et directs.

En se rappelant aussi que la sobriété est indissociable de la lutte contre les inégalités.

Enfin, l’Europe en déclin démographique a besoin d’immigration. Mais d’une immigration choisie et maîtrisée.

II) Pour une Europe concentrique : une Fédération de l’euro au centre et des membres associés à la périphérie :

En voulant faire entrer la Moldavie ou la Géorgie ( le pays de Staline !) dans l’U.E, nous excitons l’impérialisme russe qui reste une donnée historique difficile à maîtriser. Et recherchera à l’avenir de nouveaux motifs de guerre.

Par ailleurs, on ne peut pas durablement avoir de monnaie sans gouvernement. Nous avons aussi besoin d’une armée européenne, comme d’une unification progressive de notre fiscalité et de notre protection sociale.

Au centre de l’Europe et avec les vingt pays de l’euro, doit naître une Fédération fondée sur le principe du vote majoritaire au Conseil pondéré par les populations. Un directoire européen avec un président stable et identifié complété par une Commission transformée en simple secrétariat du directoire fédéral.

À la périphérie, les pays de l’Union européenne non membres de l’euro mais qui ont vocation à le rejoindre complèteront le dispositif concentrique.

III) Pour un gouvernement économique de l’euro :

Il y a actuellement pour une seule politique monétaire vingt politiques budgétaires différentes avec une divergence des niveaux de revenu et d’endettement.

Comme le suggère Pierre JAILLET, le nouveau Pacte de stabilité en trompe-l’œil risque de devenir un « Pacte d’instabilité » ( cf Le Monde du 8 février ).

Or l’œuvre du prix Nobel Robert Mundell (1999) sur les zones monétaires optimales démontre qu’il n’y a pas d’Union monétaire durable sans une Union de transferts ni sans une intégration complète des marchés de l’épargne et du capital.

En effet, l’épargne du nord doit pouvoir plus facilement glisser vers le sud. Pour compenser la tendance à la concentration de la richesse au cœur de la zone monétaire et l’insuffisance de l’effort de recherche-développement.

IV ) Pour une armée européenne :

La Russie qui est dans le groupe de tête de la croissance mondiale (!) produit des armements à rythme intense. Autant de chars qu’en compte l’armée française tous les trois mois.

Dans un conflit de haute intensité , les pays de l’OTAN seraient vite balayés sans l’engagement américain. Les Russes ont six fois plus de chars. Leur modèle est unique comme pour les avions alors que l’OTAN se disperse en modèles différents, ce qui limite l’efficacité de la logistique et de la maintenance. L’armée française ne dispose plus des munitions lui permettant de soutenir un conflit de plusieurs mois.

Outre le mépris complet pour la vie de ses soldats, la Russie dispose également de nombreux missiles nucléaires supersoniques et indétectables ce qui complexifie la dissuasion.

Ainsi beaucoup d’experts estiment que si l’Ukraine est défaite , la Russie attaquera la Lituanie et au travers elle la Pologne pour tracer un couloir vers l’enclave de Kaliningrad d’où elle menacera toute l’OTAN sous ses armes nucléaires stratégiques et tactiques.

Une armée européenne est donc indispensable pour contenir la Russie dans l’hypothèse de plus en plus probable du

désengagement américain.

V ) Le Fédéralisme redonnera des droits aux nations et arrêtera l’usine à normes de Bruxelles :

Citoyens d’un pays hypercentralisé, les Français ignorent tout du fédéralisme.

Ils voient une Fédération européenne comme un super-État au-dessus d’eux. C’est exactement l’inverse !

En effet, le fédéralisme se fonde sur le principe de subsidiarité. Cela signifie que tout ce qui n’a pas été défini comme fédéral relève du droit des États fédérés représentant les différentes nations européennes.

Or nous avons esquissé dans les paragraphes précédents la liste limitative de ce qui nous apparaîtrait idéalement comme fédéral. Ce sont les domaines où l’on est plus forts en mettant sa souveraineté en commun.

Le reste doit appartenir aux nations. Dans ce schéma, la Commission deviendra un simple secrétariat du gouvernement européen. Et beaucoup de normes redeviendront nationales en pratique. Avec une meilleure respiration démocratique.

Le schéma actuel est délétère et fragile car l’Europe est le bouc émissaire de tout, sans pour autant nous donner les avantages d’une véritable puissance continentale.

Nous Français avons souvent été les pionniers de la construction européenne.

Avec les grandes réformes faites par le général de Gaulle pour permettre à la France d’honorer la signature du Traité de Rome ( 1957). Avec Giscard d’Estaing , Delors et Mitterrand pour la puissance d’une monnaie et d’un marché uniques.

Il faut à nouveau relever le gant !

En consolidant et en réorientant la construction européenne dès cette année.

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Dr Maxime MAURY

officier des Palmes académiques 

professeur affilié à Toulouse Business School 

ancien directeur régional de la Banque de France