« La langue française ne mérite pas ça » par David GROSCLAUDE

Proposé il y a 24 jours par David GROSCLAUDE

La « Cité internationale de la langue française » sera inaugurée le 19 octobre prochain. On y écrit un nouveau chapître du « roman national » c’est à dire que l’on utilise une fois de plus l’histoire afin de justifier une politique d’uniformisation des langues et des cultures. Le français mérite mieux que cette manipulation.

On ne peut pas encore visiter « La Cité Internationale de la Langue Française » dans le château de Villers-Cotterêts. Elle sera inaugurée dans quelques jours, le 19 octobre prochain, par le président de la République.

Cependant, le site internet vous donne déjà une idée de ce que l’on pourra y découvrir.

A l’évidence une belle  histoire, comme on aime les raconter quand on veut tripatouiller un peu l’histoire, pardon l’Histoire. J’oubliais la majuscule.

Je ne crois pas que la langue française méritait ce simplisme, cette fable. Mais il faut croire que nous sommes en mal de « roman national » et que nous avons un président de la République, qui en matière linguistique, se préoccupe peu de précision historique et même de vérité. Peu importe. Il va inaugurer ce nouvel espace où fut signée en 1539 l’ordonnance de Villers-Cotterêts, un long texte concernant la justice et autres sujets liés à l’administration de ce qu’était le royaume de France de l’époque. C’est François 1er qui signa cette ordonnance dans laquelle deux dispositions, parmi presque deux cents autres, exige que les actes officiels soient désormais rédigés dans son royaume en « langage maternel françois ». (1)

Ce texte, discuté, controversé n’est pas un acte de politique linguistique visant à faire parler le français. Il est selon certains une mise au point afin que l’on n’écrive plus en latin et que l’on s’adresse aux justiciables dans une langue qu’ils comprennent.

Si  l’on admet —et on pourrait en débattre­— que ce texte n’a rien à l’époque d’une attaque contre les langues dites « régionales », il n’en reste pas moins qu’il fut invoqué  il y a peu afin de barrer la route à la reconnaissance des droits des dites langues régionales. Ce fut le cas pour la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Le président de la République se réfère lui-même au texte de 1539 quand il a besoin de justifier sa position, très tiède, sur la question des langues. Que la République s’appuie sur une ordonnance royale ne cesse de m’étonner. (2)

Que l’on investisse des millions dans un lieu pour célébrer une langue n’a en soi rien de choquant, sauf quand il s’agit de tenter de justifier une situation anormale. Des dizaines de propositions de loi, des centaines de manifestations, des interventions dans les instances internationales n’ont pas fait bouger la France qui à ce jour ne fait que tolérer l’existence de langues historiques autres que le français sur le sol de l’actuelle République. Je sais bien que, dans un élan de mauvaise foi, ou d’ignorance, le président de la République déclara un jour qu’il était bien singulier de voir que la «France était le seul pays de la francophonie à n’avoir que le français ! ».  Il alla même jusqu’à dialoguer avec des enfants d’une école proche de Villers-Cotterêts —en présence de caméras de télévision— en leur expliquant que grâce à cette ordonnance nous pouvons désormais nous comprendre parce que sinon nous parlerions tous des « patois » différents.

Que le président de la République actuel, comme ses prédécesseurs, n’ait rien fait et ne fasse rien pour nos langues est une évidence ; donc laissons-là les politiques et intéressons-nous à cette « Cité internationale de la langue française ». (3)

Elle réserve quelques surprises. D’abord on a confié, à grands frais, à une entreprise le soin de réaliser une verrière qui accueillera les visiteurs. Je passe sur l’exploit architectural pour parler du concept. Ce sont cent mots illustrant la langue française qui sont suspendus au dessus du sol. Cette sélection de cent mots est le résultat : « d’une consultation menée avec les habitants de Villers-Cotterêts » . On nous dit que ces mots : « reflètent la diversité de la langue française dans le monde ». Je ne sais par quel étrange phénomène l’un des cent mots choisis et figurant en bonne place sur la photo du site internet de la Cité est : « PATOIS ». Mais quel bon choix !  Que le hasard fait bien les choses ! On entre dans le temple de langue française et on trouve parmi les cent mots représentatifs celui qui illustre le mieux le mépris avec lequel on a traité nos langues dites  « régionales ». Il est heureux que n’aient pas été choisis des mots comme « cracher » ou « interdit », parce que l’on aurait pu  faire des associations malheureuses et reconstituer la phrase : « Il est interdit de parler patois et de cracher par terre ». C’était une phrase elle aussi affichée dans quelques temples du savoir que sont les écoles, à une certaine époque.  Non, la Cité est presque « clean » ( pardon, je provoque  mais un autre couac est malheureusement à suivre !) pas de conflit, juste ce mot qui est suspendu au dessus de votre tête (cf photo). Je me demande ce qui est passé par celle de celui ou de celle qui l’a choisi, symbole d’un mépris historique toujours vivant. La langue française, langue très respectable comme toutes les langues du monde, ne méritait pas cela. « Diversité » aurait été un mot bienvenu mais il était peut-être le 101ème de la liste ? Bref,  « patois » est bien là aux côtés de « courriel », « grammaire », « bouquin » , « rendez-vous » et aussi « François 1er ». J’entrevois aussi « créole ». Au singulier cela ne désigne pas une langue mais des langues qui sont d’ailleurs fort diverses et que la République s’honorerait à laisser vivre, comme elle s’honorerait de le faire pour le breton, le basque, le corse, le catalan et j’allais dire l’occitan …mais mais ! Oui, il y a un « mais » ! Je m’explique.

Une carte, à droite bien particulière. L’occitan n’existe pas et la mosaïque (assez contestable et même fantaisiste) semble faite pour montrer tous les bienfaits d’une uniformisation des langues

Dans la visite virtuelle que l’on peut faire sur le site de « la Cité » on fait une place aux langues dites «régionales » vous savez ces langues qui vivent dans cet espace francophone, un peu comme le poussin sous la poule. Ça, c’est en rêve ! La poule s’en fout. On veut juste laisser penser que ce sont des « langues sous la mère », des sous-langues en quelque sorte !

La salle des langues régionales vous permettra, en vous plaçant sous des haut-parleurs de les entendre (3). Une belle carte vous montrera où elles se parlent (dire où elles se meurent serait plus juste ). Mais l’occitan ? Il n’existe pas. Il est découpé en quatre grands espaces (cf photo) Il n’y a, comme c’est singulier, que le nord du territoire qui parle le « nord-occitan ». Pour les autres c’est du gascon, du languedocien et du provençal.

Et je vous promets que cette vision des choses n’etait pas inscrite dans l’ordonnance de 1539 par François 1er, il s’agit d’un choix actuel, volontaire, pensé, voulu. Et quand je pense que l’on a même pas prévu une petite tâche sur la carte pour indiquer le « patois pyrénéen » parlé par la grand-mère de notre président ! Vous verrez aussi que sur la carte sont indiqués tous les dialectes d’Oïl avec un qui m’était inconnu et qui est appelé  « centre ».

Il est bien dommage que l’on réduise la langue française à cette manipulation coûteuse dans le but de laisser croire que 1539 fut la fin d’un babel infernal. Il s’agit une fois de plus de tenter de faire croire qu’il y aurait un mouvement naturel de l’histoire, un mouvement qui ferait disparaître les autres langues, qui ne sont que des « patois ». Instrumentaliser une langue, le français, pour écrire en ce château un châpitre de plus à un « roman national » ne me dit rien qui vaille. Le français, en tant que langue, n’a heureusement rien à voir avec cette idéologie, avec cette manipulation de l’histoire. C’est une œuvre de simplification visant à faire voguer le bateau avec l’air du temps…  J’espère que le mot « liberté » qui est suspendu parmi les cent mots de la verrière, est bien accroché. Bien qu’il ne soit écrit qu’en français je le prefère largement à ceux que nous portent les vents mauvais qui soufflent lorsque l’on manipule l’histoire, ou pour employer un mot français populaire, lorsqu’on la « bidouille » ; Sans doute afin de faire plaisir à un électorat qui écoute de plus en plus des bonimenteurs franchouillards.

David Grosclaude